La carte postale

Une larme roule sur sa joue et atterrit sur le papier glacé. Elle l’essuie rapidement d’un revers de la manche pour ne pas abîmer la carte postale. L’émotion l’a prise par surprise alors qu’elle faisait du rangement dans ses placards pour commencer ses vacances d’été du bon pied. Quelques minutes plus tôt, elle souriait à la vue d’un faire-part de naissance. Il a suffi qu’elle tombe sur cette carte, pour qu’un accent marseillais se mette à chanter  à son oreille, réminiscence d’une voix devenue silencieuse.

Sa voix chaude et grave qui l’appelait « ma pitchoune » lorsqu’elle était enfant, et même bien après, lui revient et lui échappe en même temps. Elle revoit l’eau turquoise des calanques dans lesquelles il l’emmenait se baigner pendant les grandes vacances.  Elle ressent le froid de l’eau presque brûlant sur sa peau doré par le soleil. L’odeur des pins vient lui chatouiller les narines, comme la moustache de son grand-père lui chatouillait les joues lorsqu’il la serrait dans ses bras. Et tout s’envole en fumée, la laissant dans un état de désolation ressemblant à celui d’un paysage méridional après un incendie. Alors elle ouvre les vannes, pour que les souvenirs ne tarissent plus.

Assise en tailleur, une boîte remplie de cartes et de lettres posées à côté d’elle, elle reste de longues minutes à pleurer en observant le fort St-Jean de Marseille représenté sur l’image. Puis elle reprend sa respiration, elle pense avec une infinie douceur à toutes ces cartes de Marseille qu’il lui envoyait pour qu’elle connaisse aussi bien la ville que si elle y vivait au quotidien, elle qui n’y était même pas né. Elle retourne la carte, sa gorge et sa poitrine se serrent de nouveau. « Ma pitchoune », ces mots avec ce M majuscule qui semble s’envoler, il ne les posera plus. Il les a inscrits pour la dernière fois sur cette carte, elle le sait au vu de la date et de cette écriture d’adulte  devenue quasiment illisibles les dernières semaines où il a vécu. L’absence à laquelle elle s’était habituée ces dernières années devient si omniprésente qu’elle peine à respirer. Elle se sent soudain terriblement à l’étroit entre les quatre murs qui composent son studio parisien. Son cœur se met à battre la chamade. Elle se saisit de son sac, y fourre la carte, appelle un taxi :
— Bonjour, je voudrais aller à l’aéroport au plus vite, merci.

Voici ma participation à l’atelier Une photo, quelques mots de Bric à Book.

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17 commentaires

  1. J’ai lu tous les textes de cet atelier. Je n’avais pas encore trouvé de texte nostalgique, de rappel à l’enfance, à celles et ceux qu’on a aimés, qui ne sont p;us là et qui nous manquent.
    Et ce texte termine joliment ma promenade à travers les textes de ce lundi de janvier.
    Merci de me faire refermer la page sur un si jolie note.

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  2. Très beau et qui résonne en moi alors que mon fils de 20 ans vient de prendre son envol comme un fugitif, ruinant mon coeur qui a du mal à panser… Quant à la photo, j’adore ♥ Spot très connu de la seynoise d’adoption que je suis, magnifique photo 🙂

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  3. Un texte nostalgique dans lequel on ne peut que se reconnaître, triste certes mais mais qui fait du bien grâce à la tendresse et la douceur qui s’en dégagent. C’est une très agréable lecture que tu nous offres là ! Merci !

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  4. Marseille de mon enfance, où Pitchoune que j’étais, je trouvais l’air si chaud, la pierre si ocre et le vent si violent … me voilà avec une petite nostalgie moi aussi à cet instant … Merci !

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