Le dernier mot

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Source : Pixabay

Elle pousse la porte vitrée aux inscriptions gothiques pour la trente-cinquième fois; elle sait que ce sera la dernière. Le bas de sa robe printanière blanche parsemée de dessins fleuris se soulève avec légèreté lorsqu’elle referme la porte. Elle pose ses avant-bras à la peau blanche sur le comptoir, en face d’elle, des avant-bras velus recouverts de têtes de mort et de femmes nues contrastent fortement avec les siens. Habituée des lieux, après les salutations d’usage, elle se rend directement dans la petite salle du fond sans qu’on ait à lui indiquer le chemin. Elle retira sa robe d’un seul geste et désormais vêtue uniquement d’une culotte de coton blanc à dentelle, elle prend position sur la couchette, allongée sur le ventre. Son corps élancé mais voluptueux est complètement décontracté malgré ce qui l’attend. L’homme aux avant-bras tatoués entre, s’assit sur son tabouret, puis enfile ses gants. Pendant qu’il prépare son matériel, elle repense à la première fois où elle s’est retrouvée à cette place. En réalité, elle ne se souvient de quasiment rien.

A la douleur vive de la perte de celui qu’elle aimait et avec lequel elle rêvait d’être mariée et d’avoir des enfants, était alors associée une torpeur à laquelle elle s’abandonnait. Toutefois, sur son lit de mort, il lui avait fait promettre d’être heureuse et de continuer à vivre. C’était lors de l’une de ces sorties où elle errait sans but dans la ville qu’elle était passée devant la petite boutique. Un magnifique dessin affiché sur la vitrine l’avait attirée comme un aimant. Il s’agissait d’un visage de femme peint à la mexicaine de façon à représenter une tête de mort. Elle y avait vu comme un signe de celui avec laquelle elle avait fait un voyage au Mexique, un rappel de ses dernières volontés. Elle était entrée. Elle avait voulu se faire tatouer immédiatement. Le tatoueur avait hésité au vu de son corps décharné flottant dans son jean devenu trop grand et de ses yeux dont la vie semblait avoir disparu, mais la détermination farouche qui avait étincelé dans ses yeux lorsqu’elle avait insisté l’avait convaincu. Lorsqu’il lui avait demandé ce qu’elle voulait, elle avait répondu « Survivre ». Voilà, c’était ça, ce mot, qu’elle allait faire tatouer sur son corps. Il lui avait demandé si elle était certaine de son choix, elle avait répondu « oui ». Elle s’était allongée sur la couchette comme si elle s’était allongée pour s’endormir, exposant ainsi son dos. Où et quel style d’écriture ? Comme il voulait, seul le mot comptait. Elle s’était ainsi retrouvée avec le mot « Survivre » inscrit en écriture cursive en tout petit au milieu du dos. Lorsqu’elle était partie, avec une délicatesse contrastant avec son physique de gros bras, le tatoueur lui avait dit espérer qu’elle revienne un jour pour marquer son corps de mots plus optimistes, même si celui-ci contenait beaucoup d’espoir. Elle était revenue. Quelques semaines plus tard. D’autres mots, des verbes plus précisément, étaient apparus sur son corps, petit à petit, à mesure qu’elle reprenait goût à la vie, notamment « Sourire », puis bien plus tard, « Rire ». Elle pouvait venir plusieurs jours d’affilée, puis ne plus venir pendant des semaines. Le tatoueur s’arrangeait toujours pour avoir du temps pour elle. Ces tatouages, c’était la traduction de sa résilience.

« C’est terminé. » Elle se lève, regarde dans le miroir la spirale que forment les mots inscrits de plus en plus gros sur son dos. Ces mots positifs semblent tournoyer et prendre de l’ampleur dans un élan vertueux au fil des tours. Tout ça est encré en elle maintenant. Le dernier mot, fraîchement tatoué juste sous sa nuque, apparaît en relief dans un halo rougi. C’est ce qu’il a voulu et ce qu’elle se sent prête à faire pleinement désormais :
« VIVRE ».

Voici ma participation au défi A vos claviers #4
dans le cadre duquel il fallait mêler fiction et données réelles sur soi.

Rendez-vous demain pour un récapitulatif de l’ensemble des textes.

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